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Introduction : La nutrition parentérale à domicile (NPD) permet une survie prolongée chez les malades en situation d'insuffisance intestinale définitive pour syndrome de grêle court (SGC). Un travail précédent a suggéré que les complications hépatiques associées au SGC et à la NPD étaient un des principaux facteurs de risque de mortalité et qu'elles étaient favorisées par l'utilisation excessive d'émulsions lipidiques à base d'huile de soja. Le but de ce travail a été d'étudier la survie des malades en situation d'insuffisance intestinale définitive et de préciser les rôles pronostiques respectifs des données anatomiques du SGC, des modalités de la NPD et de l'hépatopathie associée à l'insuffisance intestinale (HAII) après réduction des apports en triglycérides à chaine longue (TCL) d'huile de soja (<1g/kg/j).
Malades et méthodes : Tous les malades pris en charge par notre centre agréé de NPD entre 1990 et janvier 2017 pour un SGC responsable d'une insuffisance intestinale considérée comme définitive, hors transplantation intestinale (grêle post duodénal restant < 100 cm (type I), <60 cm (type II), <30 cm (type III) et/ou absence de possibilité de sevrage au-delà de 2 ans de NPD) et sans pathologie maligne évolutive ont été inclus et suivis prospectivement. L'HAII a été définie par la survenue en cours de NPD d'anomalies persistantes des tests fonctionnels hépatiques, sans autre cause identifiable d'hépatopathie. Les deux principales modifications de la composition de la NPD ont été le recours à des prothèses nutritives industrielles à partir des années 2000 et l'utilisation de nouvelles émulsions lipidiques à base d'huile de coco, d'huile d'olive et d'huile de poisson, moins riches en TCL que l'huile de soja. L'émulsion lipidique SMOF est un mélange de ces 4 huiles.
Résultats : Soixante-neuf malades (31 femmes, 38 hommes) d'âge moyen 53,7 ans ont été suivis pendant une durée moyenne de 2163 jours (6 ans, extrêmes 279-8463 jours) pour un SGC avec une longueur de grêle post-duodénal restant de 61,9± 57,1cm (type I, n=23). Les causes du SGC étaient ischémiques (n=24), radiques (n=22), ou autres (n=23). La survie globale à 1, 5, 10 et 20 ans a été respectivement de 94,2% (IC 91,4-97%), 50% (IC 43,9-56,1%), 26,8% (IC 21-32,6%) et 21,1% (IC 15,3-26,9%). Les apports énergétique et lipidique IV moyens ont été respectivement de 21,4± 9,8 kcal/kg/j et de 0,55± 0,31 g/kg/j. Dix-huit malades n'ont reçu que des TCL, 17 malades ont reçu du SMOF lipide®. Quarante-trois malades ont reçu des prothèses à la carte. Cinquante malades sont décédés (72,5%). Une HAII a été observée dans 37 cas (53,6%), dont 23 avec ictère prolongé ; 22 de ces 23 malades (95,7%) sont décédés après une durée moyenne de 1832,6 jours de NPD soit 5 ans (extrêmes 279-8463 jours), avec un taux moyen de bilirubine totale de 206,1 µmol/l (extrêmes 50-576 µmol/l). Un malade a eu une greffe foie-intestin après 3287 jours de NPD et est vivant et sevré de sa NPD depuis 9 ans en juin 2017.
En analyse univariée, le type de SGC, la longueur de grêle post-duodénal restant y compris pour les grêles ultracourts (≤ 30 cm) et la cause du SGC n'avaient pas d'influence sur la survie. En analyse multivariée, l'HAII était le seul paramètre indépendant de survie (p=0,02). Les paramètres significativement associés à l'HAII en analyse univariée, étaient la longueur de grêle post-duodénal restant (p<0,0001), l'apport énergétique (p<0,0001) et azoté (p=0,002) et l'utilisation de SMOF lipide® (p=0,03) ; en analyse multivariée, l'HAII était significativement associée à une longueur de grêle restant ≤ 30 cm (OR 5,79 (IC 1,24-27,08) ; p=0.026) et à un apport énergétique IV >20 kcal/kg/j (OR 6,42 (IC 1,48-27,91);p=0.013) et inversement associée à la prescription de SMOF lipide® (OR 0,11 (IC 0,02-0,61);p=0.011).
Conclusion : Notre étude confirme que les complications hépatiques observées chez les adultes en insuffisance intestinale définitive nécessitant ainsi une nutrition parentérale à vie (a) restent fréquentes malgré la réduction des émulsions lipidiques à base d'huile de soja et sont un facteur de mauvais pronostic ; (b) sont favorisées par un grêle restant ultra-court et par un apport énergétique parentéral supérieur à 20 kcal/kg/jour. Enfin, notre étude suggère que les émulsions lipidiques de type SMOF réduisent le risque de complications hépatiques en nutrition parentérale de longue durée.