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Introduction : L'histoire du concept de schizophrénie nous renseigne sur la base commune qui fait consensus pour définir cette pathologie : elle procède d'une altération fondamentale de la conscience de soi, d'autrui, de l'empathie et de la distinction soi-autrui. Cette altération semble être une dimension centrale dans la psychose. La schizophrénie est une vulnérabilité globale, d'ordre constitutif, cognitive mais également interpersonnelle. Si le sujet souffrant de psychose est coupé de lui-même par des troubles de la conscience de soi, il est également coupé des autres et de l'intersubjectivité commune par une altération de certains sous-processus rendant possible la distinction soi-autrui et l'empathie. Dans cette étude, réalisée en collaboration entre l'Unité de Recherche Clinique Pierre Deniker (URC) du Centre Hospitalier Henri Laborit (CHL) de Poitiers et le Centre de Réhabilitation et d'Activités Thérapeutiques Intersectoriel de la Vienne (C.R.E.A.T.I.V ; CHL ; Poitiers) spécialisé dans la prise en charge des patients souffrant de psychose, nous avons étudié l'impact de la remédiation des cognitions sociales sur certains sous-processus qui sous-tendent la conscience de soi, la conscience d'autrui et l'empathie et sur l'activité du Default Mode Network (DMN), le réseau d'activité cérébral par défaut qui sous-tend la conscience de soi au repos mais qui fait aussi partie des réseaux intégrés de l'empathie. L'objectif principal de notre étude était de montrer une action « top-down » de la remédiation cognitive sociale sur l'interaction entre (1) les sous-processus cognitifs de bas niveau visuels et (2) visuo-spatiaux de distinction soi-autrui – qui sont nécessaires respectivement à la conscience de soi et à l'empathie – et (3) l'activité du DMN au repos.
Méthode : Pour cela nous avons réalisé une étude monocentrique (URC), comparative contrôlée et non-randomisée sur 8 patients stabilisés d'octobre 2017 à juin 2018 (l'étude se poursuivra jusqu'en septembre 2022). 3 patients ont participé au programme Metacognitiv therapy (MCT) et 5 ont participé au programme ToMRemed. Les patients ont été évalués cliniquement par des hétéro-questionnaires (MINI, PANSS, MADRS, HAMA, F-NART, LSAS, l'EAS, QSL, LSAS), des auto-questionnaires (IRI, TAS-20, IS) et des tests cognitifs. Ces 8 patients ont aussi été évaluées au niveau comportemental à l'aide de l'Empathy-Sympathy Test (E.S.T) qui permet de mesurer les capacités visuo-spatiales de l'empathie et à l'aide du Double Mirror Test (D.M.T) qui permet d'évaluer les capacités de reconnaissance visuelle de soi et d'autrui. Les passations de l'E.S.T et du D.M.T étaient précédées d'un examen EEG (256 électrodes). L'ensemble de ces évaluations et examens ont eu lieu en pré- et en post-thérapie.
Résultats : Nos résultats indiquent qu'il y a un effet « top-down » de la remédiation cognitive (MCT et ToMRemed confondus) sur les mécanismes visuo-spatiaux hétérocentrées de l'empathie et sur la reconnaissance visuelle d'autrui, suggérant une amélioration de la capacité à distinguer autrui de soi . Ces effets sont sous-tendus par une modulation de l'activité du DMN, en particulier d'un des états cérébraux de repos. Cette modulation de l'activité s'explique très probablement par un réaménagement de la connectivité fronto-pariéto-occipitale, incluant notamment le cortex préfrontal ventromédian (CPFvm) et dorsomédian (CPFdm), impliqués dans l'analyse des intentions d'autrui et des cognitions propres, le CPF dorsolatéral (CPFdl), impliqué dans les fonctions exécutives, la jonction temporo-pariétale (JTP) impliquée dans les processus de conscience de soi et d'autrui et le gyrus occipital inférieur (GOI) impliqué dans la reconnaissance visuelle de soi. Ces résultats sont associés à une amélioration clinique globale (amélioration de la PANSS, de la HAMA et de la TAS-20), montrant l'intrication entre la symptomatologie clinique et cette dimension fondamentale de distinction soi-autrui.
Conclusion : Les résultats de ce travail sont très encourageants quant à l'action de la remédiation de la cognition sociale sur le cœur de la symptomatologie psychotique, c'est-à-dire l'altération de la distinction soi-autrui, de l'empathie et de ses corrélats neuro-fonctionnels. Cette thèse a démontré, en outre, la faisabilité d'une étude à la fois clinique, cognitivo-comportementale et neuro-fonctionnelle sur des patients stabilisés.