Voir le résumé
Introduction : La schizophrénie est une pathologie psychiatrique dont l'altération des aptitudes sociales et de la conscience de soi représente un enjeu clinique et thérapeutique majeur. Ce travail s'est intéressé à l'altération de l'empathie et au déficit d'auto-compassion, dans le cadre de cette pathologie. L'auto-compassion, littéralement une compassion tournée vers soi, ainsi que l'empathie, largement définie comme la capacité à comprendre l'expérience vécue par autrui et son état mental associé, sont des processus complexes et multidimensionnels, intègrent de multiples sous-processus, automatiques et volontaires, émotionnels et cognitifs. Nous faisons l'hypothèse que l'empathie et l'auto-compassion partagent certains de ces sous-processus (comme la distinction soi – autrui, le changement de perspective, la métacognition et la ToM, le traitement de l'information émotionnelle ou encore les processus de régulation émotionnelle et cognitive), qui peuvent être modulés par la maladie schizophrénique. Cette étude s'est déroulée à l'Unité de Recherche Clinique Pierre Deniker du CH Laborit et est la première à explorer le lien entre auto-compassion et empathie chez le schizophrène en électro-encéphalographie (EEG). L'objectif principal de ce travail est de déterminer les structures cérébrales dont le fonctionnement est altéré lors de la pratique de l'auto-compassion et de l'empathie chez les patients souffrant de schizophrénie, en comparaison de sujets sains.
Matériel et méthode : Nous avons réalisé une étude prospective, monocentrique, comparative, contrôlée, sur 12 patients et 12 contrôles, entre Juin 2017 et Juin 2019. Les participants ont été évalués par hétéro-questionnaires (MINI, PANSS, MADRS, LSAS, HAMA) et auto-questionnaires (EQ, IRI, SCS, STAI, SWLS, TAS-20, IS). Après des entraînements, les participants ont réalisé des tâches d'empathie sur 6 histoires pré-écrites et des tâches d'auto-compassion sur 3 histoires personnelles. Les tâches se déroulent en 2 temps : une phase de « rappel » des histoires et des émotions associées et une phase de « pratique » de l'empathie ou de l'auto-compassion. L'activité corticale des participants était enregistrée par un EEG de 256 électrodes, ensuite analysée par la méthode des corrélations inter-sujets (ISC).
Résultats : Indifféremment de la tâche ou du groupe, on retrouve des ISC plus élevés pour le rappel que pour la pratique. Les projections spatiales montrent des activations préfrontales (qui concerneraient vm/dmPFC, dlPFC, ACC et COF) et temporo-pariétales (qui incluraient la TPJ). Ces activations sont préférentiellement droites pour l'empathie, elles sont bilatérales et symétriques pour l'auto-compassion. Les projections spatiales des patients schizophrènes nous apportent deux informations majeures : (1) lors de la pratique de l'empathie ou de l'auto-compassion, les patients ont des activations moins fortes et moins étendues que celles des contrôles ; (2) les patients schizophrènes présentent des activations plus fortes au rappel qu'à la pratique, inversement à ce qui est présenté par les contrôles. Les échelles psychométriques rapportent des corrélations entre empathie et auto-compassion qui soulignent le lien entre ces deux processus. En particulier, on retrouve que les patients qui s'estiment les plus auto-compatissants sont aussi ceux qui ont les meilleurs scores de « Perspective Taking ».
Discussion : Tout d'abord, nos résultats indiquent que les stratégies cognitives et cérébrales des participants (patients et contrôles) sont plus homogènes et stables dans les tâches simples de rappel que dans les tâches complexes d'empathie et d'auto-compassion. De plus, nous montrons que les schizophrènes ont des patterns d'activation cérébrale différents des contrôles lors de la pratique de l'empathie et de l'auto-compassion. Nous présentons le premier travail qui fait le lien entre empathie et auto-compassion et qui montrent leurs altérations dans la schizophrénie.