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Introduction : Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est une pathologie fréquente et invalidante avec une grande hétérogénéité de symptômes classés en dimensions. La relation entre l'empathie et le TOC n'a été que peu étudiée dans la littérature et les résultats des études sont contradictoires. L'empathie est une notion essentielle en psychiatrie car un déficit en capacités empathiques peut jouer un rôle dans la genèse ou le maintien des symptômes de nombreuses maladies neuropsychiatriques dont l'épisode dépressif majeur, la pathologie addictive, la schizophrénie, le syndrome d'asperger, la personnalité psychopathique et narcissique ainsi que le TOC. Évaluer l'existence d'une altération de l'empathie dans le TOC pourrait améliorer la compréhension de la pathologie et sa prise en charge diagnostique et thérapeutique. Dans cette étude, l'objectif principal était d'évaluer la modulation des capacités empathiques par rapport aux dimensions cliniques du TOC. Puis nous avons comparé les capacités empathiques des patients ayant un diagnostic de TOC avec des témoins exempts de pathologie psychiatrique et nous avons vérifié si cette corrélation était impactée par la symptomatologie anxio-dépressive des patients.
Méthode : Il s'agit d'une étude observationnelle, descriptive, prospective, monocentrique, et transversale. Elle s'est déroulée à l'Unité́ de Recherche Clinique (URC) Pierre Deniker du Centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers. L'ensemble des patients ont été évalués à l'URC entre janvier 2015 et septembre 2018. Ils ont été appariés en sexe, âge et niveau d'étude avec un groupe contrôle de volontaires sains. Au total 94 participants ont été inclus dans cette étude : 47 patients atteints de TOC (femmes : 25 ; 39,2 ± 13 ans ; 11, 9 ± 2,80 ans d'étude) et 47 contrôles volontaires issus de la population générale, appariés en sexe , âge (p = 0.867) et niveau d'études (p = 0.824) (femmes : 25 ; 38,77 ± 12,58 ans ; 12,04 ± 2,76 ans d'étude). Notre population d'étude était composée à 53 % de femmes et à 47% d'hommes. Nous avons tout d'abord déterminé les scores totaux à l'échelle Y-BOCS. L'extraction des dimensions principales du TOC a été faite à partir de la « check-list » de la Y-BOCS en utilisant un algorithme statistique développé et validé par Shavitt et al., en 2017. Nous avons calculé pour les patients, les scores moyens à l'IRI ainsi que les scores moyens à la MADRS et à l'HAD. Les mêmes scores ont été calculés pour les sujets contrôles à l'IRI et à l'HAD. Pour évaluer le critère de jugement principal de cette étude, nous avons effectué des corrélations de Pearson. Puis nous avons réalisé des t- test pour données non appariées avec les scores moyens obtenus aux sous échelles de l'IRI et de l'HAD, pour comparer les capacités empathiques des patients ayant un diagnostic de TOC avec des témoins exempts de pathologie psychiatrique. Nous avons utilisé la régression linéaire afin de vérifier si le syndrome anxio-dépressif impacte la corrélation entre l'empathie et les dimensions cliniques du TOC. Enfin nous avons réalisé des t test pour données appariés pour vérifier l'impact du sexe sur les scores recueillis pour les dimensions de l'IRI et de la Y-BOCS.
Résultats : L'analyse de corrélation montre que plus les patients ont des symptômes sexuels/religieux sévères, plus leur sous score de PT (p= 0.025) et d'EC (p <0 ,001) sont bas, autrement dit, ils ont une moins bonne capacité de se mettre à la place d'autrui et une faible préoccupation empathique. A contrario, la corrélation est positive entre la dimension symétrie/ordre et le sous score PT (p= 0.037). Donc les patients qui ont des symptômes de symétrie/ordre sévères ont un sous score PT plus élevé, c'est à dire une meilleure capacité de se mettre spontanément à la place des autres. La dépression et l'anxiété n'ont pas pondéré la corrélation entre l'empathie et les dimensions sexuelle/religieuse et symétrie/ordre. Nous avons comparé les scores obtenus à l'HAD et à l'IRI dans chaque groupe (Tab.2). Les patients atteints de TOC ont des niveaux plus élevés de PD c'est-à-dire une anxiété majeure face à la détresse des autres. Tandis que les témoins ont des scores plus élevés à la FS c'est-à-dire une capacité à s'identifier à des personnages fictifs plus développée. Les patientes atteintes de TOC (n=25 ; 53.19%) ont montré des scores significativement plus élevés de PD que les patients masculins (p = 0,035), donc une anxiété accrue face à la détresse des autres.
Conclusion : Selon la dimension prédominante de leurs symptômes, les patients souffrant de TOC peuvent avoir une altération spécifique de leurs capacités empathiques. Les résultats indiquent que les dimensions symétrie/ordre et sexuelle/religieuse sont liées à des aspects spécifiques de l'empathie et que leur corrélation n'est pas expliquée par la symptomatologie anxio-dépressive des patients. Ces résultats préliminaires suggèrent que ces dimensions cliniques du TOC sont associées à des niveaux accrus de psychopathologie. Ceci concourt à créer un profil clinique ajusté et plus précis, chez les patients, qu'il sera nécessaire d'explorer lors d'études ultérieures avec un plus grand échantillon. De plus, des traitements médicamenteux ciblant les zones cérébrales altérées et impliquées dans l'empathie, constituent une perspective intéressante. Enfin, la prise en charge thérapeutique du TOC par les TCC permettrait de cibler les capacités empathiques altérées selon le profil clinique et d'entreprendre une rééducation afin d'améliorer la qualité de vie du patient.